Sénateur des Bouches-du-Rhône

Jérémy Bacchi
Sénateur des Bouches-du-Rhône
Membre du groupe CRCE

Membre de la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication et membre de la commission des Affaires européennes

Elu le 27 septembre 2020

Quelle perspective de reprise pour la pratique sportive ?

Monsieur le Président,
Madame la Ministre déléguée,
Mes chers collègues,

Le sport transcende les clivages, y compris dans cet hémicycle. Sa  portée universelle nous permet, un temps, de mettre de côté nos différends. L’utilité sociale du sport n’est plus à démontrer. Et alors que de plus en plus de personnes s’inquiètent d’un délitement de la société, il fait partie de ces outils essentiels à la République émancipatrice que nous souhaitons. Et c’est d’autant plus vrai qu’il permet, souvent, aux populations les plus fragiles socialement et économiquement de sortir la tête de l’eau et d’échapper aux difficultés du quotidien. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’on constate, en même temps que la fermeture des lieux sportifs, une augmentation de 80 % des troubles psy chez les jeunes.

Il y a encore peu, la France s’était donné un cap : accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 avec une progression de trois millions de pratiquants sportifs. Sans même entrer dans le débat dans la dénomination des « pratiquants sportifs », la pandémie nous oblige à revoir nos plans.

Aujourd’hui, ce sont 180 000 clubs et 108 fédérations qui sont en souffrance. Clubs de danse, de gymnastique, d’arts martiaux, de basketball ou de rugby etc etc etc, ce sont plus de 70 000 structures qui craignent de ne jamais pouvoir rouvrir.

La baisse des licenciés était en octobre estimée aux alentours de 30 %, ce qui représente autant de personnes ne faisant plus vivre l’idéal émancipateur du sport mais aussi, et ça a son importance pour les structures, quelques 260 millions d’euros en cotisations. Ce constat est d’autant plus accablant qu’il existe de fortes disparités selon les territoires et les disciplines. J’étais lundi dans les quartiers nord de Marseille, au comité de veille de la Busserine. Là-bas, ce sont 65 % des licenciés qui ne sont pas revenus alors même que le confinement a été particulièrement éprouvant pour eux et que la pratique libre n’est plus possible. Pire, la fermeture des locaux a entraîné une occupation des lieux par des dealers, dont les bénévoles ne savent pas s’ils pourront les faire partir une fois l’activité relancée.

A cela, il faut ajouter près de 120 millions d’euros de pertes des recettes issues des événements et du sponsoring. Je voudrais tout de même saluer l’engagement important des collectivités territoriales qui, premières financeuses du sport français, ont maintenu voire même augmenté leur contribution pour 92 % d’entre elles.

Face à cette situation cataclysmique, les pouvoirs publics doivent être en capacité de répondre à trois questions :qu’a t’il été fait jusqu’ici ? Quelle réponse apporter dans les semaines, les mois qui viennent ? Quelle leçon devons-nous tirer de la situation ?

Madame la Ministre déléguée, je ne doute pas de votre attachement à la pratique sportive qui fait votre quotidien depuis tant d’années. Mais force est de reconnaître que jusqu’ici, les réponses de votre ministre de tutelle et du gouvernement à la crise sont insatisfaisantes. J’y vois d’ailleurs un nouvel effet indésirable  de votre rattachement forcé au ministère de Jean-Michel Blanquer.

Premièrement, elles ont brillé par leur insuffisance en direction du sport amateur.

* 900 000 euros par le CNOSF et l’ANS en 2020, auxquels vont s’ajouter 20 millions d’euros pour l’année à venir pour compenser les pertes de licences et 15 millions d’euros d’aides d’urgence.

* 100 millions d’euros pour le Pass Sport

Voilà, en substance, la réponse apportée pour le gros des associations sportives. Pour être tout à fait exhaustif, il faut citer l’accompagnement des 30 000 associations sportives employeuses qui peuvent bénéficier du chômage partiel et des prêts garantis par l’État.

Deuxièmement, elles ont été ressenties par le mouvement sportif comme particulièrement déséquilibrées, et en tous points. Je citerai, à cet égard, un président de club : « il faut différencier le sport spectacle/business où il y a de gros intérêts en jeu. Celui-là, il est visiblement plus important que les autres, on ne l’a pas sacrifié. L’économie prime sur tout, on l’a tous bien compris. ».

Bien sûr, les pertes à assumer pour le sport professionnel, ainsi que sa place dans le paysage économique du pays, sont d’un tout ordre. Les chiffres sont connus : des pertes de recettes dépassant allègrement le milliard d’euros, près de 350 000 emplois directs concernés et plusieurs milliards d’euros de retombées fiscales en temps normal.

Malgré tout, force est de constater que la réponse publique aux difficultés des clubs professionnels a été d’une toute autre dimension. Rien que les PGE contractés par les clubs rattachés à la LFP dépassent les 600 millions d’euros.

Même en matière sportive, on ressent comme un « deux poids deux mesures » qui interrogent. A ce titre, on peut s’interroger sur la persistance d’avoir relancé et maintenu avec tant d’ardeur les compétitions professionnelles tout en laissant au placard les compétitions amatrices. Je me permets d’évoquer deux cas qui, à mon sens, illustrent les paradoxes de la situation.

Martigues est à 35 kilomètres de Marseille et à 150 kilomètres de Sète. Malgré cette proximité, et les échanges entre les trois villes, un seul des trois clubs est interdit de compétitions, et ce malgré des protocoles sanitaires appliqués partout. C’est d’autant plus incompréhensible qu’on sait très bien que certains clubs des divisions nationales sont, au moins, aussi structurés que certains clubs professionnels. A Martigues, une nouvelle fois, on a le double de contrats professionnels que dans certaines équipes de la division supérieure, la Nationale 1.

De cet exemple ressort le sentiment qu’il y a en fait deux politiques sanitaires sportives et deux prises en compte des risques, selon qu’on soit sous régime de contrat professionnel ou régime de contrat fédéral.

Celle pour les amateurs, qui ne rapportent pas d’argent, et sont mis en extinction d’un côté.

Celle, de l’autre, pour les professionnels où « le jeu en vaudrait la chandelle ».

Madame la Ministre déléguée, quelles perspectives à court terme pouvez-vous donner au monde amateur sportif ? Peut-on espérer une reprise progressive des compétitions en extérieur et/ou en salle dans les semaines qui viennent ?

La mise sur le marché la semaine dernière du masque « Salomon » peut-il constituer une porte de sortie de crise pour les associations sportives ? Si oui, votre ministère s’engagera t’il financièrement et matériellement pour accompagner les fédérations et les clubs à se doter en matériels ?

De manière plus lointaine, cette crise a montré que notre modèle sportif a atteint ses limites.

On pourrait presque se poser la question : le sport professionnel est-il devenu fou ? Le supporter que je suis est parfois pris, je le concède, de cette schizophrénie entre vouloir voir les meilleurs joueurs tous les week-ends mais vouloir aussi garder l’esprit sportif historique français.

Encore ce printemps, certains clubs exprimaient leur volonté de renforcer leur indépendance vis à vis de l’État, tout en attendant de ce dernier un soutien financier important. On en revenait à la privatisation des profits et la mutualisation des pertes qui prévaut déjà dans la gestion des stades.

Il faudra bien, pourtant, reposer la question des liens entre le sport professionnel et l’État d’une part, et entre le sport professionnel et le sport amateur d’autre part.

Sur le premier point, j’évoquais à l’instant cette attitude ambiguë de certaines ligues professionnelles.

Pendant des décennies, le sport professionnel entretenait avec le sport amateur une forme de solidarité à double sens. D’un côté, les clubs amateurs accueillaient et pré-formaient des jeunes qui venaient derrière faire vivre le sport professionnel. Et ce dernier aidait le premier financièrement pour le maintenir en vie, et ce dans un contexte de désengagement de l’État. Est-ce toujours pleinement le cas aujourd’hui ?

Le scandale de Médiapro, s’il met grandement en difficulté le football professionnel, a une conséquence qu’on évoque trop peu souvent : il prive toutes les disciplines sportives amatrices d’une manne essentielle à sa survie. Ainsi, c’est bien l’action d’un quarteron de professionnels qui aggravent les difficultés de l’ensemble des structures amatrices. Depuis plusieurs années, des économistes pointent le risque d’implosion de la bulle des droits télévisés et de la bulle des transferts mais aussi les risques de l’endettement des clubs, et appellent à revoir le modèle sportif professionnel.

Il me semble qu’un chantier devrait être lancé autour du plafonnement des taxes liées au sport. Si on reprend les documents budgétaires présentés par le gouvernements, les taxes sur les paris sportifs, les jeux de loterie et Buffet vont représenter en 2021 aux alentours de 420 millions d’euros pour un reversement à l’ANS estimé à, à peine, 166,54 millions d’euros.

L’Assemblée nationale a discuté la semaine dernière une proposition de loi relative à la démocratisation du sport. Votre prédécesseure, Laura Flessel, nous parlait déjà de ce texte en 2017 et il est donc heureux qu’il arrive enfin. Toutefois, je me joins à la colère de ma collège Marie-George Buffet qui, il me semble, a une certaine légitimité en matière sportive.

Comment démocratiser le sport sans avancer sur le dossier de la régulation du monde professionnel qui tout à la fois produit des moyens nécessaires au monde amateur et capte une part non négligeable des ressources publiques ?

Comment démocratiser le sport sans s’atteler à la question de l’engagement de l’État dans la pratique sportive, alors même que votre ministère ne représente que 0,14 % du budget de l’État ?

Comment démocratiser le sport sans évoquer la question du sport scolaire, qui constitue tout à la fois un outil essentiel à l’épanouissement des enfants mais aussi une porte d’entrée à la pratique licenciée ?

Comment, enfin, démocratiser le sport sans s’atteler à tous les freins à la pratique, notamment économiques ?

En cette période de crise les sports amateurs et professionnels ressemblent de plus en plus à un champ de ruines. Si cette situation est catastrophique elle offre aussi l’opportunité de repartir sur de bonnes bases.

Ce débat qui préfigure quelque part la discussion sénatoriale sur la proposition de loi de Céline Calvez, doit être l’occasion de vous proposer des solutions pour un avenir sportif populaire et accessible à toutes et à tous.

Et je sais qu’il y a sur tous les bancs de cet hémicycle des amatrices et amateurs de sport qui auront à cœur de faire vivre les valeurs sportives. 

En cette période de crise, les sports amateurs et professionnels ressemblent de plus en plus à un champ de ruines. Si la situation est catastrophique, elle offre aussi l’opportunité de repartir sur de bonnes bases. Ce débat, qui préfigure quelque part la discussion sénatoriale sur la proposition de loi de Céline Calvez, doit être l’occasion de vous proposer des solutions pour un avenir sportif populaire et accessible à toutes et tous. Et je sais qu’il y a, sur tous les bancs de cet hémicycle, des amatrices et amateurs de sport qui auront à cœur de faire vivre les valeurs sportives.

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