Un soutien financier calibré pour le premier confinement, pas pour le second
- décembre 02, 2020
- by
- Jérémy Bacchi
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une enquête de septembre du ministère de la culture estime que les pertes engendrées par la pandémie de coronavirus pourraient, dans le secteur culturel, se chiffrer à près de 23 milliards d’euros.
Depuis lors, notre pays a fait face à un second confinement, au moment même où de timides reprises voyaient le jour.
Les annonces de jeudi dernier constituent une bouffée d’air frais, même si plusieurs éléments doivent encore être précisés.
Le revenu minimal de 900 euros par mois entre novembre et février est-il calibré pour les intermittents, au vu de la conditionnalité imposée ? Dans le même registre, l’année blanche instaurée ce printemps va-t-elle être prolongée pour prendre en compte les nombreuses annulations des prestations prévues au second semestre ?
Le soutien de l’État à ces filières en crise n’en demeure pas moins réel, et nécessaire pour les faire survivre. Est-il pour autant suffisant ? Plusieurs inquiétudes demeurent.
Premièrement, et comme je l’ai indiqué, il semble que le soutien financier ait été calibré pour le premier confinement. De plus, si des crédits massifs sont inscrits dans la mission et le plan de relance, la baisse des recettes fiscales irriguant les structures nous inquiète tout particulièrement.
Deuxièmement, plusieurs actions nous laissent circonspects.
Tout d’abord, s’agissant des industries culturelles et du livre, le maintien de la subvention au CNL nous interroge. Le secteur a connu un rebond salutaire durant l’été, mais l’automne devrait être aussi cataclysmique que ce printemps. Et encore, ce regain estival a surtout concerné les auteurs et autrices déjà installés, les éditeurs ayant repoussé les sorties de premiers romans pour éviter qu’ils ne soient étouffés par les plus attendus.
Ensuite, je ne ferai qu’évoquer la question du cinéma, déjà abordée dans ma précédente intervention. Je m’interroge sur le manque de soutien apporté aux vidéastes hors cinéma. Ces nouveaux créateurs, encore peu considérés par l’État, subissent la crise, alors que leur phase de professionnalisation n’est pas tout à fait aboutie. Cela est d’autant plus problématique qu’ils occupent une place importante dans la lutte pour la démocratisation de l’accès à la culture et la lutte contre les fausses informations, au vu de leurs audiences.
Troisièmement, deux points noirs subsistent, les aides à la presse et l’audiovisuel public.
Pour le premier secteur, l’augmentation des aides à la presse est salutaire, mais largement insuffisante, pour deux raisons. Tout d’abord, elle ne compense pas les baisses drastiques opérées cette année. Ensuite, le secteur a particulièrement souffert de la crise sanitaire, couplée à sa crise structurelle. Nous ne sommes pas à l’abri de voir des titres disparaître, alors même qu’on voit l’importance de leur rôle dans le bon fonctionnement de la démocratie. En dehors même de cette question du montant des aides, nous devrons réinterroger notre modèle d’aide à la presse, qui, aujourd’hui, ne favorise pas la création d’un pluralisme, tant les médias sont rongés par la concentration.
À ce titre, le plan de filière que vous promouvez risque de s’assimiler une nouvelle fois à un afflux d’argent public auprès d’agents économiques opérant des coupes drastiques parmi leurs effectifs.
Pour le second secteur, vous nous demandez presque de nous réjouir que la baisse des crédits soit non pas de 80 millions d’euros, mais uniquement de 70 millions d’euros.
Pourtant, nous avons encore une fois besoin d’un véritable service public audiovisuel ambitieux, et le maintien pour un an de France 4 n’est qu’un répit. De la même manière, la compensation à hauteur de 70 millions d’euros de la perte des revenus publicitaires ne peut venir remplacer ni l’érosion constante du reversement de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) ni les baisses de crédits, qui devraient atteindre 200 millions d’euros d’ici à 2022.
Dans ces conditions, on ne voit pas comment les opérateurs pourraient respecter leurs engagements, notamment en matière de production.
Madame la ministre, on ne peut pas en même temps vouloir l’exigence de l’audiovisuel public, saluer son rôle lors de la crise sanitaire et lui couper les vivres. Qu’on estime qu’il faille une réforme en profondeur de son financement, c’est une chose. Mais, en l’état actuel des choses, rien n’est proposé pour compenser les pertes dues aux décisions gouvernementales.
Les pistes proposées par la réforme avortée de votre prédécesseur étaient pour partie insatisfaisantes, notamment en ce qui concerne la publicité, mais avaient le mérite d’exister. Quel plan a le Gouvernement aujourd’hui pour un réinvestissement du service public audiovisuel ?
En conclusion, certains pans de ce budget sont satisfaisants et témoignent d’un réel investissement du Gouvernement. On peut citer, comme je l’ai fait tout à l’heure, le cinéma.
Malheureusement, d’autres secteurs comme la presse et l’audiovisuel public sont mis au ban.
C’est la raison, madame la ministre, qui nous empêche de voter ce budget. Nous le regrettons profondément.